Liberté et partage: le camp d’écriture du CEC Émilie-Gourd



Ce texte présente un camp d’écriture organisé depuis plusieurs années dans une école du secondaire II genevois. Par l’entremise d’extraits de productions d’élèves, l’auteur discute des avantages didactiques de ce genre d’approche de l’écriture créative.  

Les pratiques d’écriture créative méritent d’être pleinement (ré)investies dans l’enseignement du français au postobligatoire; de l’atelier ponctuel aux pratiques régulières 1, des exercices épisodiques aux évaluations formatives, voire certificatives 2. En voici une, laquelle relève cependant d’un projet d’établissement: le camp d’écriture.

Historique

Le Collège et École de commerce Émilie-Gourd, à Genève, organise depuis une dizaine d’années un camp résidentiel d’écriture, proposé aux élèves de 1ère et 3e années gymnasiales 3. Le camp a lieu pendant une semaine consacrée aux activités hors cadre (camp d’astronomie, camp d’art, voyages linguistiques, etc.), généralement au printemps. L’inscription se fait sur une base volontaire.

Ce camp a été créé par plusieurs enseignants de français qui ont décidé de suivre l’exemple du Collège Claparède, dont le premier camp d’écriture avait eu lieu une année plus tôt. Plusieurs autres collèges, tout comme d’autres écoles du canton, ont aussi leur camp d’écriture – parfois sous une forme quelque peu différente.

Depuis 2011, le camp d’écriture du collège Émilie-Gourd bénéficie non seulement des acquis didactiques mis en place par les enseignants qui l’ont créé, mais aussi de certaines modalités de vie collective 4 qui ont permis d’assurer une ambiance propice au partage. 

Organisation

Le camp 5 commence le lundi par des jeux (de présentation, d’expression, puis d’écriture), afin de faire connaissance et de créer le groupe – ce qui s’avère important pour favoriser la bienveillance nécessaire au partage des textes. En soirée, un premier atelier a pour but de permettre aux élèves de présenter leur projet d’écriture. Les élèves ont le choix du sujet comme du genre, à condition que leur écriture témoigne d’une préoccupation esthétique. Il ne s’agit donc pas que de raconter une histoire. Si les textes sont plus facilement narratifs, d’autres genres sont aussi représentés. Certains nécessitent un suivi de près, tandis que d’autres se font de façon plus autonome.

Les jours suivants sont consacrés à des ateliers de travail individuel centrés autour du projet des élèves, avec pour contrainte de privilégier le brouillon, de façon à ce qu’ils conservent les différentes étapes de leur production. Dès qu’ils en éprouvent le besoin, les élèves vont voir un enseignant. Dans l’idéal, tous les textes doivent avoir été lus par au moins deux enseignants avant le mercredi soir, où nous organisons un atelier par petit groupe centré sur les difficultés des élèves. Des «trucs et astuces» sont alors échangés. Le jeudi après-midi, les élèves dactylographient leur texte et corrigent les dernières erreurs, tandis que le vendredi est consacré à la préparation de la lecture à haute voix des textes. Les lectures sont enregistrées et les textes font l’objet d’une publication 6. D’autres activités autour de l’écriture sont organisées lors des veillées: la lecture d’un texte commun, la rencontre avec un écrivain, ainsi que des ateliers spécifiques, notamment une soirée «slam»: un verre (sans alcool) pour des vers. Des activités ludiques, des marches et des temps libres sont par ailleurs aussi proposés.

Finalement, les élèves participent à toutes les tâches collectives (repas, vaisselle, rangement, nettoyage, etc.). Un enseignant s’occupe plus spécifiquement de la logistique (établissement des menus, courses, élaboration des repas, etc.), tandis que les cinq autres sont à disposition des élèves (on compte ainsi cinq à six élèves par enseignant, soit vingt-cinq à trente participants pour le camp pour six enseignants).

Le travail des enseignants consiste à accompagner les élèves, à leur faire part de leurs impressions de lecteur, à les conseiller, voire à les orienter, selon les besoins. Les textes sont lus par plusieurs enseignants, et bien évidemment, les avis divergent. Il s’agit évidemment de ne pas faire le texte de l’élève, mais de lui proposer des directions possibles; aux élèves de trancher. De même, les enseignants aident les élèves à mieux lire et interpréter leur texte à l’oral. Leur fonction est donc celle d’une personne-ressource.

Écriture et réécritures 

Lors du premier atelier de l’édition 2017, une élève de première année a fait part de son projet: rédiger un échange épistolaire entre des personnages abstraits. Après quelques tâtonnements, elle a choisi d’écrire une lettre de la Vie à la Mort. Un enseignant lui avait conseillé de privilégier la rédaction d’une seule lettre, de qualité, plutôt que plusieurs. Elle a commencé par réfléchir au sujet:



Puis elle s’est lancée dans une première rédaction dont voici le début:



L’idée d’une lettre entre deux amants était née. Les enseignants lui ont proposé de développer cet aspect et de ne pas hésiter à rendre compte du désir de l’une pour l’autre. Une étape de plus a donné cette version:




Puis, après les conseils des enseignants et de ses camarades, elle est arrivée à celle-ci:




C’est là l’exemple d’un texte qui a demandé à son auteure un effort de réécriture important. On trouvera en annexe un texte rédigé par un apprenti gestionnaire du commerce de détail de 3e année (âgé de plus de 20 ans), lors de l’édition 2014. Là aussi, entre les premiers jets et la version finale, l’étudiant a repris inlassablement chaque mot, chaque formule, de façon à faire «sonner» son texte.

Quelques remarques…

D’édition en édition, on note l’originalité des œuvres, leur authenticité, leur richesse d’évocation. Les sujets abordés sont souvent durs, sombres, angoissants, comme si l’écriture ouvrait une porte derrière laquelle se cacheraient les monstres dans le placard – mais sans doute aussi parce que l’humour est plus difficile à faire naître sous la plume. 

L’école privilégie l’aspect critique de la littérature dans ses programmes, sans exclure pour autant l’aspect créatif, mais en le réduisant à la portion congrue. Pourtant, de raisons pour favoriser les pratiques d’écriture créative, ou littéraire, il en est de nombreuses: écrire pour mieux lire, écrire pour désacraliser l’écriture, écrire parce que l’écriture ce n’est pas que dissertations et commentaires composés, écrire pour s’immerger en littérature, écrire pour le plaisir, écrire pour s’écrire, se dire, écrire pour soi, écrire pour rencontrer l’autre, écrire pour s’approprier la langue, se faire langage, pour mieux écrire, pour jouer aussi, etc. Et écrire pendant une semaine, dans une maison éloignée de la civilisation, favorise l’immersion. Les textes sont différents; les difficultés sont souvent les mêmes. Surtout, il n’y a aucune évaluation chiffrée, seulement les applaudissements, les commentaires laudatifs et son propre regard critique.

Depuis la première édition, il y a onze ans, les enseignants de français ne cessent de défendre ce camp (ce qu’en réalité ils n’ont guère besoin de faire), tellement il offre aux élèves comme aux enseignants une expérience personnelle et collective extraordinaire, fondée sur la liberté et le partage. Liberté de ton, de sujet, de genre, liberté de style, liberté d’être; partage de la vie collective et des émotions qu’elle suscite, des joies et des difficultés, et surtout du bonheur de découvrir ces textes pour lesquels, souvent, les enseignants se font du souci à mi-parcours. Or, il est à chaque fois magique d’assister à ce petit miracle de la naissance d’un texte qui se veut littéraire au milieu des ratures, des erreurs de français, des hésitations, des traits rageurs sur des feuilles déchirées, des ras-le-bol, des doutes, des longs moments où quelques-uns se disent qu’il n’y arriveront jamais… Et ces lectures, poignantes pour la plupart, parfois mises en musique, voire jouées, dans une ambiance de recueillement où chacun, les yeux fermés ou grands ouverts, goûte les mots, et se laisse porter par les émotions.

Annexes

Planning du camp




Exemple de texte:

A la suite d’une formation donnée par Yves Renaud (HEP Vaud) à l’Institut littéraire Suisse, je pratique quotidiennement avec tous mes élèves le cahier d’écriture, selon des modalités à peu près similaires.
À l’examen de maturité,  par exemple?
Lors de l’édition 2014, plusieurs apprentis de commerce ont pu participer au camp. Il est malheureusement difficile de reproduire l’expérience; peu d’employeurs sont prêts à libérer leurs apprentis une semaine sans les forcer à prendre sur leur temps de vacances. En outre, selon les circonstances, des élèves de 2e année gymnasiale peuvent parfois participer au camp.
Inspirées de l’univers des camps de vacances pour adolescents que j’ai animés pendant de nombreuses années.
On trouvera ci-dessous en annexe le planning de la semaine. Pour une meilleure impression, on lira l’article de Marianne Grosjean (Tribune de Genève, 28 avril 2017) accompagné de son reportage, tous deux réalisés lors de l’édition 2017
Nous publions à partir du site thebookedition

Pour citer l'article

Philippe D. Garo, "Liberté et partage: le camp d’écriture du CEC Émilie-Gourd", Transpositio, Comment ça s'enseigne, 2017

http://www.transpositio.org/articles/view/liberte-et-partage-le-camp-d-ecriture-du-cec-emilie-gourd

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