Jean-Louis Dumortier

Professeur honoraire de l’université de Liège, Jean-Louis Dumortier y a été responsable du service de didactique des langues et littératures françaises. Ses travaux ont porté, entre autres, sur les pratiques scolaires de lecture/écriture du récit. Il est ainsi l’auteur d’un Tout petit traité de narratologie buissonnière à l’usage des professeurs de français qui envisagent de former non de tout petits (et très mauvais) narratologues mais des amateurs éclairés de récits de fiction (2005).

Entretien

1. Dans une perspective diachronique, si vous deviez retracer les grandes étapes de l’entrée dans les classes des savoirs issus de la narratologie, quels colloques, évènements pédagogiques (nouveaux programmes…) et publications citeriez-vous?

Au tournant des années 1960-1970, en même temps que paraissaient les premiers ouvrages des fondateurs de la narratologie française (Barthes, Genette, Todorov, Greimas, etc.) ou les traductions en français des précurseurs russes (Propp, Bakhtine, Chklovski, Tomachevski…),  en même temps que se répandait, au sein du corps professoral, l’esprit de contestation de la tradition académique et pédagogique qui avait contribué à la flambée de mai 1968, s’opérait, en Belgique francophone, une rénovation des programmes de l’enseignement obligatoire liée à une réforme des structures scolaires dont l’objectif était, dans une conjoncture socio-économique encore favorable (nous sommes à la fin des Trente glorieuses), de mettre fin à une répartition précoce des élèves dans les formes d’enseignement générale, technique et professionnelle et de permettre à l’École de jouer pleinement son rôle d’ascenseur social. C’est la conjonction de ces innovations qui, à mon avis, a favorisé l’engouement de certains jeunes professeurs de français pour la première narratologie. 

Je pense que celle-ci s’est implantée dans l’enseignement secondaire (puis dans l’enseignement primaire) avant même d’être résolument enseignée dans les universités, par l’action d’enseignants progressistes et militants qui, au cours des décennies suivantes ont pu faire connaître leurs transpositions didactiques des travaux des narratologues grâce à des revues et à des collections dédiées à la formation des maîtres (Enjeux, Français 2000, Revue de la Direction générale de l’Organisation des Etudes, «Formation continuée», «Séquences», pour m’en tenir à des publications belges), grâce aussi à des propositions de formation continuée bien accueillies par une fraction dynamique du corps enseignant soucieuse d’innover en s’appuyant sur des connaissances solides.

Quitte à tomber dans le piège de l’idéalisation d’une époque qui a été celle de mes premiers pas professionnels, je dirais volontiers que la diffusion de la narratologie dans le secondaire est une des conséquences de l’effervescence pédagogique des années 1970-1980. Cette dernière a suscité, dans la sphère des professeurs de français, un appel de savoirs et de pratiques rompant avec les approches académiques qui tenaient encore le haut du pavé (celles de la «philologie romane») comme avec une tradition d’enseignement que la «sociologie de la reproduction» (Bourdieu) avait prise à partie. Ceux qui ont été alors les champions de la narratologie dans l’enseignement obligatoire avaient, je pense, le sentiment de participer à une révolution scolaire qui conjuguait exigence de scientificité et volonté de donner à tous les élèves des instruments d‘observation des récits qui ne supposaient pas une connivence culturelle préalable entre enseignants et apprenants. Avec le recul, je suis porté à croire qu’il était (un peu?) illusoire de penser réduire l’écart entre les dispositions culturelles de certains maîtres et celles de certains élèves, issus des milieux défavorisés, en donnant à tous les mêmes outils pour l’étude des textes et les mêmes modes d’emploi de ces outils : ce que ces derniers permettaient de constater et de dire pouvait paraître, aux yeux des peu nantis, tout aussi vain, tout aussi inintéressant – voire plus oiseux encore – que les observations et les discours qui concrétisaient les approches traditionnelles des récits, celles qui reposaient sur le «dogme de l’expression-représentation» alors mis à mal par la «nouvelle critique».

Les premiers narratologues s’étaient donné comme objet de recherche le récit (littéraire) en tant que construit sémiotique, coupé de son auteur et de son lecteur. Ils ont mis au jour ses structures profondes et les procédés de «mise en intrigue» de l’histoire qu’il donne à connaître. C’est la nouveauté, la solidité et la relative simplicité de leurs outils de description qui ont séduit certains maîtres du secondaire comme du primaire1 et leur ont souvent fait perdre de vue – un peu ici, complètement là – les raisons pour lesquelles les gens lisaient des récits (de fiction notamment), celles pour lesquelles l’étude de ces derniers avait pris tant de place dans la formation littéraire aux degrés primaire et secondaire et, en fin de compte, celles qui justifiaient l’enseignement de la littérature dans le programme rénové des humanités. La transposition didactique de la narratologie m’apparait, a posteriori, comme une manifestation parmi d’autres d’une entreprise pédagogique qui a commencé dans le dernier quart du XXe siècle: celle d’initier précocement les élèves aux méthodes de la recherche scientifique. Sans que cela n’ait été dit aussi clairement que nécessaire pour donner prise à la contestation, le but est devenu de former des linguistes, des historiens, des chimistes, des physiciens… en herbe et, subsidiairement, comme je l’ai écrit naguère, «de tout petits (et très mauvais) narratologues [plutôt que] des amateurs éclairés de récits de fiction». La redéfinition des objectifs de l’enseignement en termes de compétences (1999) peut être envisagée comme une ratification de ce but latent : il s’agissait désormais de rendre les élèves capables de mettre en œuvre leurs connaissances… pour imiter la démarche des chercheurs… sans être dans une authentique situation de recherche. Dès lors, plus l’appareil d’investigation avait une apparence scientifique et plus il était facile d’un exhiber l’usage («Qui est l’auteur? Qui est le narrateur?», «Le narrateur est-il intra-extra-homo-hétéro diégétique?», «Avons-nous affaire à une focalisation interne, externe ou zéro», etc.: je caricature un peu), plus les performances se prêtaient à une évaluation critériée objective. Une des explications de l’usage scolaire de la première narratologie est, me semble-t-il, à chercher de ce côté-là. 

Je ne pense pas que l’extension, au cours des années 1980-1990, des recherches narratologiques aux genres narratifs non fictionnels, dans quelque champ que ces recherches s’inscrivent, que ce soit celui de l’anthropologie (Bruner), de la sociologie (Labov), de la philosophie (Ricoeur), de la psychologie cognitive (Fayol), etc., ait eu un impact important dans l’enseignement obligatoire. Cela tient probablement au fait que les résultats de ces recherches n’ont pas donné lieu à de nombreuses vulgarisations, à des transpositions didactiques encore moins. Cela peut s’expliquer aussi par le fait que les outils des premiers narratologues ont reçu la consécration des programmes et bénéficié d’une large diffusion par les manuels. D’un instrument d’étude avalisé par l’institution scolaire, la majorité des enseignants se servent souvent sans se demander si ce à quoi il sert concourt à pourvoir les élèves des dispositions dont on voudrait nantir la jeunesse que l’on diplôme. Les outils en question et les pratiques dans lesquelles ils ont été mis en œuvre se sont révélés commodes pour évaluer les acquis de la formation littéraire et je pense qu’ils ont ainsi fait obstacle à la rénovation de cette dernière, qu’ils auraient pu pourtant favoriser.

En même temps que s’élargissait le domaine de la recherche narratologique, se transformait l’objet que s’étaient donné les premiers narratologues. Les investigations des spécialistes du récit de fiction ont porté sur l’interaction entre ce dernier et le(s) lecteur(s). Les pionniers –Iser, en Allemagne; Eco, en Italie; Marghescou et Picard, en France– et leurs successeurs – Jouve, en France; Gervais, au Québec; Dufays, en Belgique; Baroni, en Suisse, etc. – se sont attachés à théoriser la lecture du récit en accordant une attention variable à ce que l’auteur a mis en place pour faire réagir le lecteur, et aux dispositions de ce dernier à prêter attention aux facteurs des effets que le texte est susceptible de produire. Ces travaux, qui avaient l’avantage d’intégrer les recherches antérieures sur ce que Genette avait appelé le «discours du récit» et d’exhiber la puissance d’action de ce dernier sur l’esprit des (ou de certains) lecteurs, étaient, au prix d’une transposition didactique accessible, avalisés par l’institution et largement diffusés par l’édition scolaire, susceptibles d’ébranler et, à terme, de ruiner les pratiques de lecture excessivement «formalistes» auxquelles avait donné lieu la réception scolaire de la première narratologie. Est-ce que c’est ce qui s’est passé? Je pense que non et je le déplore. 

Cela ne s’est pas passé parce que ne s’est pas reproduite la conjonction des ruptures (dans le champ de la recherche, dans les programmes et dans le rapport des maîtres à l’institution) qui, une trentaine d’années auparavant, avait favorisé la transposition didactique de la narratologie et l’adoption par la fraction progressiste des enseignants de français des pratiques qu’induisait cette transposition. Cela ne s’est pas passé en dépit de la sévère critique, dans la première décennie du siècle actuel, de ces pratiques devenues de plus en plus formalistes, par ceux-là mêmes qui les avaient inspirées ou répandues, et des propositions concrètes en vue d’une rénovation appuyée sur les travaux des néo-narratologues. 

Ce n’est pas que ces travaux n’aient eu aucun impact dans le champ de la didactique du français: c’est sur certains de ceux-ci (entre autres) que s’est appuyé J.-L. Dufays pour conceptualiser la «lecture littéraire», mais c’est que cette didactique est devenue une discipline de recherche et que les résultats de la recherche en didactique dédiée à l’étude du récit se sont moins répandus au sein de l’ensemble du corps professoral que ceux des premières recherches en narratologie. Ces derniers avaient donné lieu à une transposition rapide de la part d’enseignants engagés sur la voie académique (Goldenstein, Petitjean, Halté, Reuter…) et animés par la conviction de concourir au progrès de l’École par le partage du «savoir savant». Trente ans plus tard, les «courroies de transmission» du savoir narratologique que sont les revues pédagogiques, les ouvrages de vulgarisation scientifique, la formation en cours de carrière, les programmes, les manuels, les conseils de l’inspection se sont distendues ou ont tout bonnement disparu, et (surtout, peut-être) le sentiment de concourir à l’amélioration du vivre ensemble en rénovant les savoirs et les pratiques scolaires n’anime plus guère une partie du corps professoral, lequel est, dans son ensemble, excédé par des réformes où le contrôle des acquis d’apprentissage prend aux professeurs une bonne partie du temps que certains consacraient naguère à la rénovation de leurs connaissances. Par ailleurs, il ne me semble pas que les néo-narratologues aient, autant que leurs prédécesseurs, produit un arsenal conceptuel et une nomenclature afférente organisés en distinctions de préférence binaires, pas plus que des savoirs qui se prêtaient autant à la schématisation et à la simplification. Enfin – et paradoxalement – plus la didactique de la littérature (où l’objet «lecture du récit» occupe toujours une place léonine) s’intéressait au «sujet lecteur» et à sa production de sens, moins elle produisait de résultats exploitables par des maîtres de plus en plus contraints à n’enseigner que ce qui pouvait être évalué et à utiliser des outils d’évaluation congruents avec la (néfaste) visée de l’égalité de résultats.           

2. En conséquence, quelles seraient, selon vous, les modalités particulières du phénomène de transposition didactique des concepts narratologiques à l’époque de leur entrée dans les classes de français?

Pour autant que je comprenne bien ces «modalités particulières du phénomène de transposition», je pense avoir anticipé cette question en répondant à la précédente. La transposition didactique des premières recherches en narratologie a été, me semble-t-il, relativement rapide, favorisée par un «esprit d’époque» porté à la démocratisation de l’enseignement secondaire, entendue comme processus visant à en faire bénéficier les moins nantis économiquement, socialement et culturellement. Elle s’inscrit dans un ample courant de réforme des contenus et des pratiques d’enseignement inspiré par l’innovation scientifique et la volonté de rendre tous les élèves capables de manier les mêmes instruments d’investigation (des textes en l’occurrence). Elle a été le fait d’une fraction progressiste du corps professoral qui s’affirmait en rompant à la fois avec la tradition académique et la tradition pédagogique.

3. Quel regard rétrospectif portez-vous sur votre contribution à ce processus historique?

Ayant été au nombre des tout premiers vulgarisateurs des recherches en narratologie (1980, 1986) et ayant constaté avec effarement la dérive formaliste de l’usage des savoirs que j’avais contribué à faire connaître, il m’est arrivé de penser que j’aurais mieux fait de me casser le poignet au lieu d’écrire les livres et les articles où je partageais les connaissances que je devais aux spécialistes. J‘ai néanmoins toujours résisté à la tentation de l’accident volontaire en me disant qu’un exemple de plus de l’usage de la narratologie au service de la réflexion sur le(s) plaisir(s) de lire et sur la pragmatique du récit pouvait éviter à quelques-uns de dériver ainsi. Ma foi en la vertu de l’exemple est déraisonnable, mais credo quia absurdum : on sait ça…

Une vingtaine d’années après mes premiers méfaits, j’ai tenté de rassembler dans une thèse de doctorat (2001) ce que je savais des différents apports au domaine de la narratologie et d’en proposer des usages qui évitaient (vaille que vaille) les fourvoiements du formalisme.

Informé des dégâts provoqués dans l’enseignement primaire par des pratiques fondées sur des vulgarisations de troisième main, je n’ai pas cru inutile de rappeler, dans un livre destiné aux instituteurs, qu’on ne devrait pas appeler n’importe quoi n’importe comment et se servir d’une panoplie de notions bancales dans des pratiques qui dégoutaient prématurément les enfants de la lecture (2006). En outre, je me suis fendu, à l’usage des enseignants du secondaire, d’un Tout petit traité de narratologie buissonnière… (2005) qui contribuait au chantier de démolition d’un enseignement de la littérature gâté par le formalisme et pour lequel je garde quelque indulgence parce que je pense y avoir allègrement persévéré sans (trop) verser dans le diabolique.

4. Selon vous, quels sont les concepts narratologiques les plus souvent mobilisés dans les classes et pour quelle raison ont-ils connu une telle fortune ? Par ailleurs, quels autres concepts négligés auraient mérité un meilleur sort ?

Je me garderais bien d’affirmer que ce sont des «concepts» qui ont été mis en œuvre par tous les enseignants ayant utilisé le vocabulaire des narratologues et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’emploi de ce vocabulaire a été souvent erratique ou incongru. 

Cela dit, au palmarès des mots les plus utilisés, je ferais figurer : «récit» et «histoire», «auteur» et «narrateur» (j’ajoute «personnage» quand il a été arraché au discours commun pour compléter le trio devenu indispensable pour l’étude des «récits de vie», fictionnels ou non),  «schéma narratif» (avec ses composantes), «schéma actantiel» (avec ses actants), «fictionnel» et «factuel», «vraisemblable» et «invraisemblable», ainsi que tout l’appareil descriptif (je renonce à l’inventaire : pardon pour cette paresse)  élaboré par Genette pour distinguer les procédés de «mise en intrigue» (Ricoeur) relevant de la «voix», de la «personne» et du «temps» –mais dans des versions adaptées ad usum delphini qui manifestaient rarement les scrupules terminologiques de l’auteur de «Discours du récit» (in Figures III), de Nouveau discours du récit, et de Fiction et diction, entre autres).

La fortune de ces mots tient, selon moi, notamment au fait que la plupart d’entre eux peuvent entrer dans des oppositions binaires aisément mémorisables («situation initiale» vs «situation finale», «sujet» vs «objet», «focalisation interne» vs «focalisation externe», «analepse» (rétrospection) vs «prolepse» (prospection), «factuel» vs «fictionnel», etc.) et servent à opérer ces distinctions élémentaires devenues un nec plus ultra dans un enseignement piloté par le contrôle des acquis d’apprentissage.

Au nombre des concepts ou des notions qui auraient pu (ou dû) mieux retenir l’attention, j’accorderais une priorité aux modes de réception du personnage par le sujet lisant (personnage perçu comme pion, comme personne et comme prétexte) distingués par Jouve (1992) et, surtout, aux affects distingués par Baroni2 (2007), ceux-là comme ceux-ci permettant de s’interroger sur la pragmatique du récit, sur les effets potentiels de procédés identifiés par Genette. Du lot de ces derniers, je sortirais volontiers, comme l’a fait Genette lui-même (2004), la métalepse, fort utile pour susciter une bien nécessaire réflexion des élèves sur la fiction et le rapport du lecteur aux mondes fictionnels (Ryan, Cohn, Jacquenod, Schaeffer, Caïra, etc.).

5. De votre point de vue, avec le recul dont vous disposez aujourd’hui, les concepts narratologiques tels qu’ils sont mobilisés dans l’enseignement ont-ils plutôt marqué un progrès ou ont-ils conduit à une détérioration de l’enseignement-apprentissage du français?

Du «français»? Je ne saurais dire. Mais voici deux mots sur l’impact qu’a eu, selon moi, la transposition didactique de la narratologie sur la formation littéraire au cours de la scolarité obligatoire. 

Le savoir narratologique a renouvelé les pratiques scolaires d’étude du récit, il a rendu possible des procédures d’analyse que les élèves étaient capables de s’approprier vaille que vaille, et cela pouvait être interprété comme un progrès par les tenants de l’apprentissage par l’activité. Mais ces pratiques, qui donnaient prise à une évaluation critériée objective du savoir lire, ont freiné (empêché?) le changement de cap de la formation lorsque celle-ci, dans une conjoncture culturelle marquée au coin d’un individualisme hédoniste (qui s’est malheureusement radicalisé), s’est déportée des objets littéraires sur l’usage de ces objets par le sujet lecteur. La néo-narratologie aurait pu favoriser ce changement de cap, mais sa transposition didactique, dans le cadre de la «lecture littéraire» notamment, pour les raisons que j’ai dites, a eu moins d’influence que celle des savoirs établis par les pionniers, d’autant moins que la plupart des contempteurs du formalisme dans l’enseignement littéraire se sont acharnés sur ces savoirs au lieu de s’intéresser aux plus récents, qu’il y avait bien des raisons de promouvoir. 

6. Comment percevez-vous la place de l’analyse du récit dans le cadre des évolutions actuelles du champ de la didactique du français et de la société en général?

Est-il trop tard pour rédimer la narratologie par l’exemple de pratiques qui articulent les savoirs anciens et les nouveaux pour expliquer les effets potentiels du récit sur le lecteur et pour rendre intelligibles l’actualisation de certains de ces effets sur certains sujets lisants? Peut-être pas, mais il n’y a pas de temps à perdre car, pour ce que je sais de la place qu’en Belgique francophone la formation littéraire prendra dans les nouveaux programmes de français, on fera la part un peu trop belle à une réception esthétique des œuvres par des jeunes – et non des élèves – que l’on n’a pas assez songé à nantir des moyens de les apprécier. Que l’on se soucie de ce mode de réception plus qu’on ne l’a fait précédemment, je m’en réjouis, mais je ne me réjouis pas d’un renoncement à la réflexion sur les goûts personnels, ni à une éducation du goût susceptible de favoriser un vivre ensemble qui ne se pervertit pas en communautarisme tolérant. À cette réflexion, à cette éducation, un solide savoir narratologique pourrait sans doute contribuer bien plus que ne l’imaginent ceux qui, sans précaution, le jettent avec l’eau du bain formaliste.

J.-L. Dumortier 21.01.2022

Références citées

Baroni, Raphaël (2007), La tension narrative : suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil.

Dumortier, Jean-Louis & Francine Plazanet (1980), Pour lire le récit : l’analyse structurale au service de la pédagogie de la lecture. Langages nouveaux, pratiques nouvelles pour la classe de langue française, Bruxelles-Paris-Gembloux, De Boeck-Duculot.

Dumortier, Jean-Louis (1986), Écrire le récit, Bruxelles-Paris-Gembloux, DeBoeck-Duculot.

Dumortier, Jean-Louis (2001), Lire le récit de fiction : pour étayer un apprentissage : théorie et pratique, Bruxelles, De Boeck-Duculot, coll. «Savoirs en pratique : français ».

Dumortier, Jean-Louis (2005), Tout petit traité de narratologie buissonnière : à l'usage des professeurs de français qui envisagent de former non de tout petits (et très mauvais) narratologues mais des amateurs éclairés de récits de fiction, Namur, Presses universitaires de Namur, coll. «Diptyque».

Dumortier, Jean-Louis & Micheline Dispy (2006), Aider les jeunes élèves à comprendre et à dire qu'ils ont compris le récit de fiction, Namur, Presses universitaires de Namur, coll. «Tactiques 1».

Genette, Gérard (2004), Métalepse : de la figure à la fiction, Paris, Seuil, coll. «Poétique».

Jouve, Vincent (1992), L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Écriture».

Ces derniers ont surtout fait cas du « schéma narratif » et du « schéma actantiel », souvent simplifiés et amalgamés d’ailleurs. L’expérience (limitée) que j’ai de l’enseignement fondamental (qui inclut désormais le premier degré du secondaire) me porte à penser que ces schémas sont plus souvent enseignés «pour eux-mêmes» qu’en tant qu’instruments de compréhension ou de production de textes narratifs.
A la condition de remplacer «suspense» (qui n’est pas un affect, mais un procédé de mise en intrigue) par un terme qui désigne l’effet émotionnel du suspense.

Pour citer l'article

Jean-Louis Dumortier, "Témoignage de Jean-Louis Dumortier", Transpositio, La scolarisation de la narratologie vue par quelques grands témoins, 2023

http://www.transpositio.org/articles/view/temoignage-de-jean-louis-dumortier


Voir également :
Enseignement secondaire
tension narrative
narratologie
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discipline français
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